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Les études longues, c’est écolo?

08/09/2022 | Au quotidien, Projets

Au printemps dernier, plusieurs remises de diplôme ont défrayé la chronique : quelques nouveaux diplômés, après leurs cinq années d’études, appelaient « à la désertion », au refus des voies toutes tracées à l’issue de leur filière, grands postes, grandes boîtes, au changement du système. Ce même système qui inclut l’éducation actuelle, les filières actuelles, ces mêmes filières qui leur ont permis d’être diplômés…

Les études, ça sert à quoi, en fait?

C’est un statut à part, étudiant. Au début, la majorité est tout juste là, ou toute proche. Et pourtant, si les parents sont présents et peuvent et veulent le soutenir, l’étudiant est souvent encore très dépendant, pour ne pas dire totalement. En tout cas en France.

Il y a les étudiants qui restent à la maison, ceux qui vivent en vase clos sur des campus isolés, ceux qui sont en coeur de ville étudiante. Les fêtards, les sérieux, les fêtards sérieux, les jeunes, les moins jeunes. C’est un monde entier, avec ses codes, ses urgences, ses habitudes.

Plus tard, pour les jeunes salariés ou travailleurs, c’est aussi souvent une période qui prêtera à nostalgie… L’image d’Epinal de l’insouciance. Vraiment?

Faire des études longues, c’est quoi dans ce monde qui marche sur la tête? C’est un moyen de trouver sa voie, sa place, son rôle? C’est un moyen d’apprendre à contribuer au monde? Ou c’est un moyen de tirer son épingle du jeu, de s’en sortir, de gagner sa vie, de limiter les risques de chômage? Les deux mon capitaine? Existe-t-il une réponse pour chacun?

Côté avenir de la planète, que peut faire un étudiant? Un étudiant peut-il être minimaliste, écolo, végétarien, militant? Un tant soit peu concerné? Totalement concerné? Quelles sont les moyens à la disposition d’un étudiant, quelles sont ses priorités? Je n’ai pas de réponse, je n’ai qu’un récit de rentrée, imaginé, un peu.

Faire des choix angoissants

Ça fait trois mois qu’il sait où il va aller. Il a bossé dur pendant sa terminale, pour obtenir la filière qu’il visait. Une filière qui lui laisse encore des choix, car il ne sait pas réellement le métier qu’il veut faire. Mais qui le sait vraiment, à tout juste 18 ans? Autour de lui… si peu de personnes!

Peu de répit en lycée, pour suivre le rythme effréné des devoirs, projets, cours. Des pauses calculées, programmées, pour lâcher la vapeur, voir ses amis, profiter de sa jeunesse quand même, malgré le stress. Stress encore décuplé par la dernière réforme du lycée, d’après les profs, d’après ceux qui ont connu le système d’avant.

Puis l’angoisse de Parcoursup. S’il n’a pas la filière qu’il veut, quels autres choix? Les moins pire, les plus judicieux? Les plus adaptés compte tenu de son dossier, de ses chances d’être accepté? Heureusement que ses parents étaient là, pour les informations, pour le soutien, pour les altercations, pour l’opposition, pour les disputes. Tout ça l’a fait avancer, et l’a confirmé dans son choix, qu’il a eu. Le soulagement, la fierté… et l’angoisse. Sera-t-il à la hauteur des attentes? A-t-il fait le bon choix?

Quitter la maison

Son choix suppose de quitter la maison parentale, celle de son enfance, de son adolescence. Il est prêt. Il en avait envie. Non pas qu’il s’entende mal avec ses parents ou ses frères et sœurs. Simplement, son indépendance naturelle et sa maturité lui donnent des ailes pour cette nouvelle vie.

Sa formation propose une résidence associée, à moins de dix minutes à pied des lieux d’enseignement. Ses parents en sont très heureux! Ils ont échappé, pour cette fois, à la recherche fiévreuse d’un logement à un loyer acceptable, dans un état acceptable, à une distance acceptable des lieux de cours… Quant à lui, ses besoins de transport seront limités. Il ne sait même pas encore si un vélo lui sera nécessaire.

La résidence étudiante est meublée, uniquement habitée des personnes de sa formation. Une chance… ou un enfermement? Sur ce campus, un peu coupé de la ville, comment l’ouverture au monde se vit-elle? Le quotidien est constitué de cours et projets avec des personnes, des repas avec ces mêmes personnes, de mini-appartements avec les mêmes, de fêtes avec toujours les mêmes… On fait comment dans ce cadre pour ne pas se couper du monde extérieur, de la réalité? Mais est-ce le but quand on est étudiant…? De ce qu’il a pu entendre autour de lui, tellement d’anciens étudiants étaient dans « leur bulle » à cette époque de leur vie…

Préparer ses affaires

Depuis qu’il sait qu’il quitte la maison, il s’affaire régulièrement, avec enthousiasme. Un tour à la ressourcerie avec sa mère, choisir des assiettes de seconde main. Écumer la maison de ses parents, les placards, la cave, pour récupérer des pinces à linge, quelques torchons, des boîtes en plastique, des cintres, une lampe de chevet.

Puis faire des courses : des affaires de sport (c’est important le sport, même quand on fait des études qui utilisent principalement le cerveau…), quelques nouvelles fringues, des fournitures scolaires, des casseroles, une passoire, une bouilloire électrique…

Il a fait ce qu’il a pu pour récupérer au maximum des affaires ici ou là. Pour éviter d’acheter du neuf. De participer à cette consommation de masse dont il a la conviction qu’elle est le facteur majeur de la détérioration de notre monde. Mais il lui aurait fallu un temps de dingue pour tout acheter en seconde main.

Sa mère lui a préparé une pharmacie. Elle a insisté pour y glisser un flacon d’huile essentielle de Ravintsara. La fratrie l’appelle « Maman Ravintsara » pendant l’hiver, elle en est chiante avec ses petits cachets du matin qui puent et prennent la bouche… mais qui limitent (soit-disant) les attaques de virus.

Bouger

Elle est venue avec lui pour la rentrée. La voiture est chargée. Deux valises d’affaires personnelles, des cartons avec les ustensiles de cuisine, du petit bazar. Et le tancarville que sa mère a absolument voulu mettre dans la voiture. Ils ne vont pas traverser la résidence avec le tancarville à la main quand même? La honte, non?

Il a passé les étapes administratives, vérification de l’inscription, de la sécu. Toutes les étapes, sauf celle des banques. Ses parents voudraient idéalement éviter les banques les plus mal notées dans les classements carbone, ou sociaux, ou risques, ou… De toute façon, ces différents classements ne sont pas d’accord entre eux. Et puis sur quels critères sont-ils établis? Ce sont les plus grosses banques (les plus mal notées??? même pas sûr…) qui étaient présentes le jour de la rentrée, avec leurs petits stands et leurs facilitateurs d’ouverture de compte : somme offerte à l’ouverture, frais réduits… Ils pêchent les étudiants dès la rentrée, sachant qu’une majorité d’entre eux « fera carrière », et ils anticipent ainsi leurs futurs clients aisés. Pas folle la guêpe.

S’installer

Puis il a eu ses clés. Le sésame. Son nouveau chez-lui. Yes!! Il a sa propre salle de bains, un luxe inouï pour un étudiant. Bureau, chaise, lit, étagère, ayé, l’inventaire est fait!

Ils vident la voiture. Les autres premières années déjà arrivés s’affairent aussi. Les cartons, valises, grands sacs en plastique se croisent dans un joyeux bazar. Tiens, un autre parent qui porte un tancarville…? Ah… peut-être pas une si mauvaise idée en fait? Une valise entièrement enroulée de plastique, et bardée d’étiquettes dans une écriture asiatique, attend un tour d’ascenseur. Sur le dessus, une grosse peluche neuve et douce, rigolote… Il sourit… Lui, il a caché ses vieux doudous dans le fin-fond de sa valise. Même s’il les sort rapidement, ils resteront cachés sous l’oreiller. C’est un peu la honte quand même non?

Sa mère vide les valises, pose les piles ici ou là, fait le lit. Lui range, organise, structure, et personnalise déjà son espace. Très bonne idée les demi-étagères du géant bleu et jaune pour le placard. Idem pour les boîtes plastique récupérées, qui trouvent vite leur usage. Déjà, il fait la liste de ce qui manque dans sa tête… enfin, dans son téléphone : un rideau de douche, une multi-prise, …

Faire ses premières courses

Le lendemain, le bureau des élèves a organisé des courses communes vers le centre commercial le plus proche, à un bon quart d’heure de voiture ou de car. Les courses sont prioritaires pour les élèves non motorisés. Par exemple pour le propriétaire de la valise asiatique et de la grosse peluche, sans doute arrivé par avion. Celui-là, il n’a pas mis de tancarville dans la soute! Lui ne s’est pas inscrit, il est venu en voiture, avec un trousseau relativement complet.

Avec sa mère, ils font les premières courses alimentaires, profitant de la voiture pour aller dans un gros hypermarché, où ils trouveront aussi bien une multiprise que l’alimentaire. Il regarde les prix en pensant à son budget. Ouh beh, va falloir jouer serré! Adieu Biocoop et les produits qu’il connaissait chez ses parents! De toute façon, il n’y a pas de magasin bio à proximité du campus. Bonjour l’unique supérette du campus, aux prix prohibitifs. Bonjour le restau U… Il approvisionne le cadis en pensant aux soirs où il aura la flemme d’aller au restau U, et aussi celle de se faire à manger de façon un peu élaborée. Quelques boîtes de conserve, des pâtes, du riz, des soupes en pack individuels. Et les indispensables : le papier toilette, des produits ménagers.

Il réalise que les habitudes qu’ils avaient à la maison, en famille, il ne va pas pouvoir les remettre en place facilement et tout de suite: le simple fait de cuisiner les repas à partir de produits bruts, les achats de vrac, les légumes bio frais. Il a entendu dans le couloir des étudiants s’inquiéter : « On fera comment quand le restau U sera fermé, je sais pas faire à manger, tu sais cuisiner toi? ».

Au retour, ils croisent la horde d’étudiants qui revient du centre commercial elle aussi, chargée de monceaux de plastique et d’emballages : poubelles, boîtes de rangements, passoires, ustensiles de cuisines, cintres, sodas.

Rencontrer ses collocs

La cuisine est partagée entre quatre chambres. Il y installe ses casseroles, sa vaisselle, ses premiers ingrédients, sel, huile. Au fur et à mesure, avec ses collocs, ils se rendent compte que, à défaut d’avoir pu se concerter avant d’arriver, il va y avoir des doublons! Les casseroles s’empilent, de toutes tailles. Le plan de travail, petit, disparaît sous un cuiseur à riz, une machine à café expresso, la bouilloire… Et dans tout ça, pas de vrai four. Un micro-ondes seulement, yey! Lui qui adore un bon gratin, une quiche, une pizza à la pâte croustillante faite maison… Voire quand il a le temps, un bon gros gâteau réconfortant fait maison. Ça va être difficile.

Un des collocs annonce : « Bon, on est tous d’accord, on ne se fait pas chier à faire le tri des déchets hein? ». Il bloque. Comment ça, ne pas faire le tri? C’est quand même un geste ultra-simple non? Surtout que la cuisine est équipée de plusieurs grandes poubelles… Il proteste à voix basse, ne veut pas passer directement pour le casse-couille de service.

Un autre enchaîne « Pour les repas, vous avez des contraintes alimentaires ou un régime spécifique, ou des allergies? Genre végane, veggie, allergie aux oeufs, au lait? ». Choeur de protestations : « Ah ben non, moi je mange de tout », sur le mode « je ne suis pas quelqu’un de compliqué, moi »… Posture? Réalité? Il faudra qu’il dise, il est végétarien. Et pour sa santé et son goût, il aime manger des produits frais, peu transformés. Étudiant ou pas, hors de question qu’il ingère des saucisses roses industrielles dégueu.

Récupérer

Les troisièmes année de l’an passé ont quitté la résidence, le grand ménage a été fait. Près des poubelles s’amoncelle un stock de planches en copeaux pressés, tapis roulés, fatras de tissu (des rideaux?), une table basse en fer forgé et verre, un portant-penderie, un fauteuil défoncé. Quand ils reviennent vers la voiture, un peu plus tard, certains items ont disparu : le portant, la table basse, déjà récupérés par les nouveaux arrivants. Ouf, ça de moins de gaspillé!

Installation pratique faite. Il s’est inscrit sur les différents groupes Telegram mis en place par les promos précédentes, comme cela lui a été demandé. Les informations arrivent, sur les activités proposées, sur l’intégration, sur les cours, les options, les visites de campus. Une avalanche. Concrètement, là, dans les semaines à venir, et malgré ses convictions, il va avoir autre chose à faire qu’à se soucier de l’avenir de la planète…

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