Nos vertes incohérences

Faut-il le rappeler? La perfection n’est pas de ce monde… Y compris dans une démarche écologique. Et je chéris les imperfections et les incohérences, si humaines, si rassurantes quand elles ne sont pas énervantes. Voici quelques réflexions récentes.

Mes vus et entendus récents

Manger bio ET rouler en SUV

Une discussion, au cours de laquelle j’entends quelqu’un dire qu’il ne supporte pas les véhicules SUV sur le parking de la Biocoop. C’est tellement incohérent et inadapté. Effectivement, dans l’objectif d’une démarche environnementale, c’est absurde. Il est probable que ces clients fassent partie de ceux qui mangent bio pour leur santé, et pas pour l’environnement.

Du coup, on fait quoi : on interdit la Biocoop aux clients qui ont des véhicules qui polluent trop? Et on les renvoie (qui est « on » d’ailleurs dans ce cas?) vers les hypermarchés traditionnels? Ou l’on se réjouit qu’ils viennent, et qu’ils puissent évoluer en fréquentant régulièrement de tels lieux, se sensibilisant progressivement à la diminution de déchets, au local, etc?

Militer écolo ET manger industriel ou faire ses petites courses en supérette

Une lycéenne, qui pourrait rivaliser par ses convictions et ses engagements avec Greta, a une passion pour les sandwichs triangle industriels… on lui interdit de militer et de manifester? Ou on lui achète ses sandwichs pour la prochaine manif, qu’elle puisse aller soutenir telle ou telle cause?

Une militante limite extrémiste des questions environnementales et humaines explique qu’elle n’a aucune pédagogie et tolérance envers tous ces gens qui ne font pas tout ce qui est nécessaire pour sauver la planète : adopter une alimentation végétarienne, réduire la taille de leurs habitations, limiter l’utilisation de la voiture, abandonner l’avion, et j’en passe. Puis admet ouvertement et en rigolant qu’elle peut encore progresser sur la voiture, et qu’elle fait ses courses de complément à la supérette classique du coin. Que faire? Lui interdire de s’engager aussi fort car elle n’est pas 100% cohérente (même si dans son cas, on est à la marge…). Ou se réjouir que même les extrémistes verts ont leurs incohérences et leur quotidien?

Job vert d’un côté ET vie personnelle de l’autre

Une entreprise de recyclage de plastique là-bas quelque part en Asie, Indonésie, Philippines ou Thaïlande, je ne sais plus. Les deux occidentaux qui en sont à la tête témoignent (Blutopia, les 4 épisodes sur l’océan et le plastique) de la catastrophe plastique, de leur engagement pour la collecte des déchets recyclables sur les plages et dans les décharges. lls vantent avec enthousiasme leur démarche, la réduction des déchets de leur environnement immédiat, l’utilité sociale et environnementale de leur entreprise et bien sur, leurs produits réalisés à partir de plastique recyclé.

Puis le journaliste leur demande où ils en sont côté personnel, sur la réduction des déchets, en particulier plastiques, et l’abandon des objets dans ce matériau. Air totalement surpris. Ils n’en sont nulle part, ne se sont jamais posé la question. Il n’y a pas de lien entre leur activité professionnelle plutôt vertueuse et leur mode de vie. On fait quoi? On leur demande de fermer leur entreprise car ils ne sont pas cohérents en tant que dirigeants? Ou l’on se réjouit qu’ils mettent leur sens de l’entreprise au service de l’environnement?

Un lycéen, en apprentissage cuistot. Il fait un stage dans un restaurant dont la spécialité est d’utiliser uniquement des produits locaux. Pas de café dans ce restaurant, par exemple! A la maison, l’apprenti cuisine pour sa famille, des légumes du jardin, comme au restaurant. Et comme il n’aime pas ça, il mange autre chose, du pain de mie industriel… On lui interdit de cuisiner local et de vanter ce type de cuisine, voire de travailler dans ce restau? Ou on se réjouit qu’il le fasse pour ses proches?

Boucherie verte?

L’un des axes majeurs pour limiter le réchauffement climatique est de réduire drastiquement notre consommation de protéines animales. Du coup, par « cohérence », on interdit aux consommateurs de viande et de poisson des filières locales, bio, de qualité? Ou justement, on leur propose une offre locale, bio, et de qualité?

Et pour répondre directement à cette question rhétorique, il y a bien des boucheries et poissonneries à la Biocoop, qui est pourtant totalement engagée dans une démarche végétarienne par ailleurs (ne serait-ce que dans ses restaurants).

Et nous, et nous, et nous?

Je vous avais raconté mes histoires avec les mauvaises herbes, il y a quelques années, et la dissonance entre mon travail dans l’environnement et mon utilisation de produits très agressifs pour la pelouse…

Quand je regarde en arrière, que ce soit dix ans, deux ans, quelques mois, nous avons progressé dans notre démarche.

Je pourrais me dire que c’est insuffisant, voire inutile. En effet, dès que nous le pouvons, nous continuons de partir en voyage (alors, la Covid nous a plutôt cloués au sol, vive l’environnement!). Nous avons aussi une (trop) grande maison, remplie d’objets neufs pour la plupart. Je fais quoi? Je regarde le côté sombre, je me décourage, je recommence donc à manger de la viande, à acheter du plastique à tout va, je reprends ma voiture pour 1 km, j’abandonne mon compost?

Ou je me réjouis du chemin parcouru, et j’accepte nos incohérences du moment, en me disant que nous allons continuer à progresser?

Je crois profondément que nous sommes tous en chemin, tous en progression, chacun à notre niveau, avec nos possibilités. Et que les incohérences font partie du chemin. Comme un ado qui traîne ses pompes taille 45 en gardant une tête de bébé : c’est apparemment pas cohérent, mais c’est une étape normale de croissance!